Communications

Valéry Giscard d’Estaing et les archives. Une ambition assouvie par Pascal GENESTE – séance du 10 janvier 2022

Autour de son successeur François Mitterrand, et de son porte-étendard culturel, Jack Lang, nombreux sont ceux qui ont méprisé la politique culturelle menée par Valéry Giscard d’Estaing entre 1974 et 1981. Pourtant on ne peut guère contester que, dans la filiation orléaniste de la droite française – comme sous la Monarchie de Juillet –, le septennat giscardien a ressenti la nécessité de gérer la mémoire nationale et a compris celle d’engager une action résolue en matière de protection du patrimoine, à une période où, par ailleurs, se confirmait la demande sociale en la matière.

L’un des axes de cette action s’est porté sur les archives au sens large et la question de leur accès, et sur les archives présidentielles en particulier. En 1974, lors de l’accession de Giscard d’Estaing à la tête de l’État, on assiste à un véritable tournant dans la manière de les appréhender et de les collecter. Avant Giscard, on traite les fonds de la Présidence comme des fonds privés ; après lui, leur statut public est clairement établi. Ce changement de perspective eut des conséquences profondes et durables dans le traitement des archives des hommes politiques français. La première ambition – pour ne pas dire le rêve – conçue par Valéry Giscard d’Estaing, dès son élection, fut de faire en sorte que sa présidence soit la plus documentée de toutes celles qui l’avaient précédée.

Pour l’ancien Président, la publication de l’inventaire de ses archives présidentielles, à l’automne 2007, marque l’aboutissement de cette volonté tant de fois exprimée. Néanmoins, le travail réalisé sur la production documentaire de l’intéressé ne s’est pas arrêté là. Ce point d’arrivée est en fait le point de départ d’une relation entretenue avec l’ancien chef de l’État, qui permit le traitement de ses archives personnelles jusqu’à son décès en décembre 2020.

La genèse de l’ambition présidentielle

Le 27 mai 1974, en quittant le ministère de l’Économie et des Finances rue de Rivoli et en pénétrant dans le palais de la rue du Faubourg Saint-Honoré, Valéry Giscard d’Estaing circule dans le bâtiment, à la recherche de dossiers, d’images : il n’y a rien ! Le chef de l’État s’en étonne un peu auprès de son chef de cabinet, Philippe Sauzay, qui lui répond : « Pas du tout, c’est l’usage, c’est absolument normal. Dans le droit public français, les archives, les dossiers d’un président de la République lui appartiennent à lui et à ses collaborateurs et donc, vos prédécesseurs les ont emportés ».

Depuis longtemps, Valéry Giscard d’Estaing a l’idée de faire quelque chose dans ce domaine. Son voyage officiel aux États-Unis, en mai 1976, à l’occasion des commémorations du bicentenaire des États-Unis lui donne l’occasion de s’intéresser au système qui fonctionne autour de la Librairie du Congrès, où il y a un dépôt obligatoire des archives présidentielles. À son retour, sa conviction est faite qu’il faut adapter ce système à la France.

On peut s’étonner qu’un chef de l’État s’intéresse d’aussi près aux archives : plusieurs facteurs expliquent cette attention particulière : d’abord, très certainement, sa sensibilité personnelle ! Culturellement, sociologiquement, il est très respectueux des archives et des archivistes – les grands archivistes des années soixante-dix (Ivan Cloulas, Jean Favier, etc.), dont il lit les ouvrages d’histoire, et ceux avec qui il noue des relations amicales (Perrine Canavaggio, par exemple).

Cet attachement, il l’exprime à plusieurs reprises. Dans un colloque sur Les Français et leurs archives, en 2001, il déclare : Je pense depuis longtemps que l’archéologie et les archives sont les matériaux les plus solides de l’analyse et de la réflexion historiques. C’est pourquoi, ils doivent être protégés et conservés avec le plus grand soin, les archives en particulier, car elles sont fragiles. Elles sont menacées à la fois par la destruction et par la dispersion. […]. Les archives paraissent être plutôt les témoins de l’Histoire, les seuls éléments strictement contemporains dont nous disposons, avec les portraits et les monuments architecturaux.

Quelques années plus tard, il évoque le problème des rapports entre les archives et l’Histoire. Dans cette compétition de longue date entre les historiens et les archivistes, je suis dans le camp des archivistes ! C’est-à-dire que je trouve qu’il n’y a pas de bonne Histoire sans archives. Cela ne veut pas dire que les archives, c’est toute l’Histoire parce qu’en effet, il y a des choses dont on ne rend pas compte sur le processus de réflexion, d’interrogation, les arrière-pensées, les rumeurs, les fragilités de santé, ainsi de suite, autant de choses qui n’apparaissent pas dans les archives mais, pour autant il est impossible d’avoir de bonne Histoire sans archives.

En plus de cette sensibilité particulière à la matière, ce qui anime Valéry Giscard d’Estaing, c’est un véritable souci républicain. Dans les années 1970, ce n’est pas anodin pour un président de la République de demander aux Archives nationales qu’une archiviste vienne travailler à l’Élysée ; ce n’est pas anodin non plus de venir dans les bâtiments des Archives nationales (au XXe siècle, il est le seul Président de la Ve République à l’avoir fait, qui plus est à deux reprises) ; il n’est pas anodin encore de recevoir à l’Élysée le directeur de ces mêmes Archives nationales – Jean Favier –. Mais au-delà de ces gestes, l’histoire retiendra son rôle majeur en faveur des archives en France, notamment dans le domaine législatif, avec deux lois importantes votées en 1978 sur l’accès aux documents administratifs – la fameuse loi CADA – et surtout en 1979 sur les archives.

Cela paraît étonnant mais, à la fin du XXe siècle, aucune loi sur les archives n’avait été promulguée depuis une loi du 7 messidor an II, depuis la Révolution française. En 1979 donc, le 3 janvier précisément, Valéry Giscard d’Estaing dote la France d’une loi qui donne à l’archivistique française ses fondements légaux et ses principes, tout en organisant les Archives nationales et posant le principe de la publicité des archives.

Ce que le chef de l’État écrit alors dans la préface de cette loi est révélateur de son esprit visionnaire : À la veille du troisième millénaire – c’est-à-dire de l’an 2000 –, la France se doit de concevoir un nouveau droit des archives, en relation avec les structures nouvelles du pays, les formes et les nécessités de son administration, les technologies sans cesse affinées de la documentation, et les besoins qui résultent chaque jour du développement de la recherche dans les sciences humaines. La loi que voici établit un équilibre entre deux aspirations qui caractérisent notre temps : le désir d’une simplicité de la France administrative, et celui d’une protection assurée des vies privées. […] Cette loi constitue une pièce importante et exemplaire de l’organisation culturelle dont la France doit se doter.

Plus de quarante ans après, il convient d’insister sur l’actualité toujours vivante d’un tel objectif et la poursuite, par le ministère de la Culture, de l’œuvre qu’il a alors engagée : d’une part, la démocratisation culturelle ; de l’autre, l’accessibilité toujours facilitée aux citoyens du patrimoine archivistique national, dans le respect de la vie privée des individus.

Qu’est-ce que cette loi change, fondamentalement, dans les années soixante-dix pour les archives des présidents de la République? Il fallait en donner une définition: les archives présidentielles ne sont pas produites par les seuls Présidents ; elles le sont aussi par leurs collaborateurs, leurs services, y compris l’état-major particulier, les services rattachés à la Présidence ; elles constituent des documents publics qui appartiennent à la Nation. C’est un grand changement. Ellescessent, précisément à ce moment-là, d’être considérées comme des documents privés.

Se pose dès lors le problème de la collecte, mais se pose également le problème du statut qu’auraient ces documents publics parce que, lorsqu’un ancien Président remet ses archives, si on considère que ce sont des documents publics, dès leur remise, les successeurs sont habilités à les consulter et à les utiliser. Ce qui, dans un système politique sensible, avec les alternances – normales d’ailleurs –, n’est pas en soi satisfaisant.

Il faut donc trouver un système qui consiste à dire : on remet les archives aux Archives nationales, on signe une convention avec la direction des Archives concernant la conservation et la consultation de ces archives et, au bout de la période, elles deviennent des archives publiques.

C’est la solution que le Président Giscard d’Estaing invente, en lien étroit avec la direction des Archives, et qu’il met en œuvre en octobre 1979. Elle est toujours en vigueur, malgré quelques aménagements.

Ce que Valéry Giscard d’Estaing souhaite surtout, c’est que sa présidence de la République, de 1974 à 1981, soit la mieux documentée de toutes celles qui l’ont précédée. Pour gagner son pari, il mise sur trois éléments : la confiance et le soutien constant au projet qu’il manifeste durant son septennat ; la volonté politique du président, qui s’est doublée d’une collaboration étroite de ses conseillers, en premier lieu, Philippe Sauzay, Jean Sérisé et Olivier Fouquet ; enfin, le recrutement et la présence à l’Élysée d’un archiviste.

La réussite d’un pari

Grâce à cela, le 20 mai 1981, ce sont plus de 500 mètres linéaires d’archives, soit environ 4 000 cartons, contre 60 laissés par Georges Pompidou sept ans plus tôt, qui sont remis aux Archives nationales. Aux Archives nationales, et pas ailleurs… Valéry Giscard d’Estaing ne cède pas à la tentation américaine ! Lorsqu’il s’est rendu aux États-Unis, il a amené son archiviste à la Maison blanche ; il lui a donné toutes les introductions au cabinet du Président Ford et lui a permis de s’inspirer de ce qui avait été fait là-bas. Tout de suite, le directeur des Archives de France, Jean Favier, lui a dit : « Attention, il ne faut pas faire de fondation à l’américaine ». À cet égard, le système prôné par Valéry Giscard d’Estaing est exceptionnel. C’est ça, l’exception française ! Le système choisi à l’étranger est souvent, généralement, le système des fondations parce que c’est plus satisfaisant pour un homme politique d’avoir sa fondation plutôt que de s’inscrire dans la continuité d’une histoire. En outre, ce précédent giscardien a été un précédent décisif. C’est à partir du moment où il a donné ses archives que les archivistes ont vraiment développé et mis au point un système de collecte au niveau du Gouvernement, avec l’appui constant du secrétaire général du Gouvernement. À partir du moment où le chef de l’État donne ses archives, les cabinets ministériels et les membres du Gouvernement doivent donner leurs archives, avec les mêmes modalités juridiques de protection.

Il m’aura fallu plus d’un quinquennat pour traiter cet ensemble important, reprendre les classements antérieurs, les harmoniser, classer les dossiers qui ne l’avaient pas été, reconditionner et recoter le tout, enfin préparer la publication de l’inventaire. Il serait trop exclusif de confondre le contenu de ces archives avec les seules archives du Président. Comme il l’a souhaité, elles reflètent, de manière plus générale, l’organisation des services de la présidence de la République, organisation mise en place en 1958, qui n’a guère évolué depuis cette date et qui est toute entière tournée vers la mission du chef de l’État.

Ainsi, trois fonds bâtissent cet inventaire : premièrement, celui du Président ; ensuite, celui des organes d’action et de conseil de la Présidence ; le dernier est composé des archives des services de fonctionnement de ce que certains ont appelé la « machine » élyséenne. Les dossiers du Président sont constitués de documents provenant de son secrétariat particulier, transmis régulièrement depuis 1974 au service des archives de l’Élysée qui les organise selon un plan de classement de type documentaire. On y trouve les manuscrits autographes du Président, comme les premières versions des discours, des allocutions télévisées ou des télégrammes ; ces versions sont accompagnées des épreuves dactylographiées, ça et là corrigées ou annotées. Figurent aussi le courrier traité par le secrétariat particulier – comment ne pas citer Marguerite Villetelle ? – et les dossiers préparés pour les séances du conseil des ministres, celles du conseil supérieur de la magistrature et du conseil de politique nucléaire extérieure, tous classés chronologiquement. Seuls manquent les dossiers préparatoires aux conseils de défense, que l’état-major particulier n’a pas encore versés.

Mais le véritable cœur de ce fonds d’archives réside dans la collection unique des notes dites « sur les urgences », transmises quotidiennement au Président par ses collaborateurs et classées là aussi par ordre chronologique.

Lorsque l’on songe aux archives élyséennes, on a tendance à croire qu’elles ne sont constituées que des seuls dossiers produits par le Président. Or ceux-ci, complétés du reste par ceux de son épouse et de son cabinet, ne représentent en volume qu’une part mineure du fonds (environ 10-15 %) : la part majeure est prise par les dossiers produits par les membres des organes d’action de la Présidence.

Ces organes d’action, d’information et de conseil sont essentiels dans le dispositif élyséen. Il y en a deux : le secrétariat général de la présidence de la République, composé d’un certain nombre – restreint, une quinzaine – de conseillers techniques et de chargés de mission ; et l’état-major particulier pour les affaires de défense.

Que trouve-t-on dans les fonds des collaborateurs présidentiels entre 1974 et 1981 ? Outre les peluriers de notes et de correspondance, ils contiennent d’abord les dossiers préparatoires aux conseils restreints que le Président rend à ses collaborateurs en fin de séance. Ces conseils restreints sont capitaux : ce sont les véritables lieux d’élaboration de la politique de l’État dans ce qu’elle a de plus important et leur nombre a doublé entre 1974 et 1981 par rapport à la période pompidolienne. Les fonds des conseillers comportent également les dossiers des réunions interministérielles qui se tiennent à Matignon, les notes éventuellement prises au cours des entretiens entre le président de la République et tel ou tel de ses visiteurs (ce que l’on appelle les « verbatim »), celles échangées avec les cabinets ministériels intéressés par la question traitée ; ils renferment enfin les nombreux rapports et les documents adressés à l’Élysée par les grands corps de l’État et qu’ignore en général « le décideur ».

Lorsque l’on classe les dossiers d’un collaborateur présidentiel, on pénètre dans son quotidien, dans sa pensée – par son écriture et parfois ses talents de dessinateur – ; on entre dans son intimité, on détecte ses doutes mais également sa lucidité, on découvre enfin clairement ses rapports avec le Président. Ils en disent souvent plus long que les simples sujets qu’ils traitent !

En plus des dossiers du chef de l’État et de ses collaborateurs, un troisième ensemble vient compléter le fonds de la présidence de la République : celui composé par les archives des services de fonctionnement de l’Élysée. Depuis la IVe République, ces services techniques, tant militaires que civils, sont permanents et essentiellement tournés vers les activités de représentation du chef de l’État ; ils ne dépendent d’ailleurs pas forcément, administrativement parlant, de la Présidence : le service du protocole dépend du ministère des Affaires étrangères ; ceux de l’architecture ou des archives dépendent du ministère de la Culture ; celui de la sécurité dépend du ministère de l’Intérieur ; le bureau militaire, lui, relève du ministère de la Défense.

La Ve République, nous le savons, marque l’entrée de la vie politique française dans un phénomène de personnalisation qui use d’outils en constant développement (les sondages, la communication politique, l’usage des médias) ; ce phénomène a de plus en plus de résonance par le fait même de la médiatisation de la société. Lorsqu’en 1958, le Président, incarné il est vrai par le général de Gaulle, devient alors réellement la tête du pouvoir et répond alors réellement de la France et de la République, certains services de la Présidence deviennent des médiateurs très influents, de plus en plus influents, serai-je tenté de dire, sous Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing : c’est le cas du service du protocole, du service de presse et du service photographique, dont la production est encore largement sous- exploitée.

Sources principales à tout travail d’histoire contemporaine, on aura compris que les archives de la Présidence ont pour principal atout d’être synthétiques. Seules les informations les plus importantes sont transmises à l’Élysée pour être restituées sous forme de notes de synthèse rédigées au sein d’un des pouvoirs les plus influents du monde.

Ces notes portent témoignage de l’extrême complexité et de l’étourdissante diversité de l’exercice du pouvoir d’un président de la République. À travers elles, on touche du doigt la responsabilité et la solitude de celui qui, au bout du compte, tout ayant été dit et pesé, décide et sera jugé sur ses actes.

Prises dans leur globalité, ces archives éclairent à présent une période peut-être difficile à comprendre tant le paysage international évolue vite et s’est transformé depuis les années 1970 mais une période fondamentale.

La poursuite du rêve

Le 29 novembre 2007, l’inventaire de ses archives présidentielles est présenté officiellement au principal concerné, lors d’une cérémonie tenue rue de Valois, au ministère de la Culture, en présence de Christine Albanel, Jean-Philippe Lecat, Jean Favier et les principaux collaborateurs du Président Giscard d’Estaing. Presque trente ans après la signature du protocole de remise des archives présidentielles, chacun s’est attaché à en souligner le caractère novateur.

Mais l’histoire ne s’est pas arrêtée là ! Et les treize années qui ont suivi ont permis d’une part, de faire un important travail de mémoire ; d’autre part, de poursuivre et d’achever le rêve de construction d’un ensemble documentaire le plus riche possible.

À y regarder de près, le travail de mémoire semble avoir été construit avec méthode, après la défaite de mai 1981, et la blessure qu’elle a entraînée. Valéry Giscard d’Estaing met alors en œuvre l’écriture de ses souvenirs, puisqu’il n’a pas voulu employer le terme de « mémoires », souvenirs qu’il publiera sous le titre Le Pouvoir et la Vie en 1988, pour le premier volume qui porte sur les années 1974-1976, sous- titré « La rencontre » ; 1991, pour le deuxième, intitulé « L’affrontement », période 1976-1978 ; et 2006, pour le dernier, période 1978-1981, sous-titré « Choisir ».

En 2002, le Centre d’histoire de Sciences Po entreprend un travail de recherche considérable sur le septennat de Valéry Giscard d’Estaing. L’ancien président de la République sollicita René Rémond afin de proposer aux historiens un exercice original d’histoire proche. Ceux-ci eurent accès aux archives de la présidence et, une fois définis les thèmes de recherche par un conseil scientifique, Serge Berstein et Jean-François Sirinelli assurèrent la coordination de l’ensemble sur cinq ans.

Le mécanisme fut le même pour chaque colloque. Il fut proposé que les communications scientifiques soient complétées par l’intervention d’un grand témoin de l’époque. Raymond Barre et Helmut Schmidt, par exemple, sont intervenus. Valéry Giscard d’Estaing apporta lui-même son propre témoignage après chaque intervention. Les discussions qui suivirent furent enregistrées et retranscrites.

Ainsi quatre colloques ont été organisés grâce à une logistique associant les Archives de France, le secrétariat du président, le Centre d’histoire de Sciences Po qui sollicita près de vingt spécialistes, donnant lieu à cinq publications rendent compte des différents aspects de ce septennat particulièrement riche, les questions européennes, les transformations sociales et culturelles de la période, sa politique économique ainsi que ses institutions. Chaque ouvrage est complété d’une abondante bibliographie.

Il s’agissait d’un exercice délicat dans la mesure où les intervenants devaient rester dans leur registre propre et que soit respecté le statut de chacun, témoins comme chercheurs. À bien des égards ce travail constitue une référence pour l’histoire contemporaine et un exemple de la méthode historienne pour laquelle le témoignage recueilli est une source parmi d’autres.

Ce qui tint à cœur du Président à la fin de sa vie, c’est le château d’Estaing, dans l’Aveyron. Après l’échec en Auvergne aux élections régionales de 2004, Valéry Giscard d’Estaing décida de vendre son château de Chanonat, acquis par ses parents, et d’investir à Estaing. Au-delà de la rénovation de ce monument historique, il mit son énergie – et son argent ! – à aménager progressivement les salles du château pour proposer rapidement une exposition permanente intitulée « VGE, un homme au service de la France et de l’Europe ». Là encore, les archives sont convoquées de manière importante pour élaborer la muséographie. Cet exercice eut une incidence majeure pour la constitution du fonds privé du président. Il permit de faire émerger des pièces inédites, notamment de l’enfance, de l’adolescence et de la formation initiale.

Les biographies et les documentaires se sont enfin enchaînés entre 2010 et 2020. Il n’y a qu’à en lire la liste pour s’apercevoir combien Valéry Giscard d’Estaing a consacré de temps d’entretiens pour leur réalisation ; il n’y a qu’à consulter les appendices ou les remerciements pour comprendre la part prise par les archives constituées/déposées :

  • –  Un jour, un destin : Valéry Giscard d’Estaing, l’homme qui voulait être aimé, documentaire diffusé sur France 2 en 2010 ;
  • –  Georges Valance, VGE, une vie, Paris, Flammarion, 2011 ;
  • –  Giscard, l’homme blessé, film documentaire de Frédéric Brunnquell et Franz-Olivier Giesbert, diffusé sur France 3 en 2012 ;
  • –  Raymond-François Le Bris, Une modernisation interrompue : regard sur leseptennat de Valéry Giscard d’Estaing, Paris, France-Empire, 2013 ;
  • –  Giscard, l’impossible retour, documentaire réalisé par Laurent Lutaud en2013 ;
  • –  Mathias Bernard, Valéry Giscard d’Estaing : les ambitions déçues, Paris, Armand Colin, 2014 (Dunod, format poche, coll. « Ekho », 2020) ;
  • –  Valéry Giscard d’Estaing, sans rancune et sans retenue, entretiens avec Frédéric Mitterrand, diffusés sur LCP en 2015 ;
  • –  Giscard, de vous à moi : les confidences d’un président, documentaire produit par Georges-Marc Benamou, diffusé sur France 3 en 2017 ;
  • –  Éric Roussel, Valéry Giscard d’Estaing, Paris, L’Observatoire, 2018 ;
  • –  1974, l’alternance Giscard, documentaire de Pierre Bonte-Joseph, diffusé surPublic Sénat en 2019.

    Conclusion

    Durant les dix dernières années de sa vie, Valéry Giscard d’Estaing est resté attentif à la poursuite de la collecte de ses archives, celles conservées à son domicile parisien ou dans ses bureaux du boulevard Saint-Germain, ou celles de ses parents qu’il a confiées au moment de la vente de leur propriété clermontoise. Des comptes rendus lui étaient régulièrement faits et un point d’honneur a été mis à achever, en février 2021, une mission à laquelle il est demeuré attaché durant près de cinquante ans.

    En évoquant les archives de l’Académie Montesquieu, j’ai déjà eu l’occasion de dire que l’unité de valeur des archives n’est pas une unité de valeur intellectuelle mais une unité de valeur de gestion ou d’occupation de l’espace (mètre linéaire). Cette masse ne représente sans doute que la réduction d’un certain nombre de filtres conscients et, la plupart du temps, incontrôlables de ce qui a pu exister, mais cette masse s’impose pour écrire l’histoire.

    Je crois que, pour Valéry Giscard d’Estaing, les archives n’ont jamais été synonymes de passé, ni encore moins de mort ! Elles sont même l’inverse de la mort : même si elles sont cachées, elles resurgissent dans le présent ; même si elles ne sont pas immédiatement communicables, elles le deviendront et resurgiront dans le futur. Il devait avoir fait sien le mot de Jules Michelet, en 1833, dans l’introduction de sonHistoire de France : « Il nous suffit d’attendre. Patiens, quia aeternus. Nous recevons tôt ou tard les vaincus et les vainqueurs ! »