Communications

Le temps et l’âge dans la peinture occidentale par Jacques Battin – séance du 13 octobre 2014

On ne subit pas l’avenir, on le construit. G. Bernanos
Peu de gens savent être vieux La Rochefoucault
Quand je considère la petite durée de ma vie
absorbée dans l’éternité précédente et suivante, je m’effraie. Pascal
Etre vieux, c’est ne plus trouver de rôle ardent à jouer, c’est tomber dans cette
insipide relâche, où on n’attend plus que la mort. Céline

 

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Qui ne se souvient au cours des années 80 de l’émouvante interprétation en vieille dame séduisante de Madeleine Renaud dans « Harold et Maude », puis au cinéma de Jean Carmet et Louis de Funès incarnant deux vieux non moins émouvants dans « La soupe aux choux ». La littérature abonderait en citations, depuis le temps où Ronsard se considérait vieux à trente ans. A l’opposé, les exemples d’artistes, musiciens, acteurs, écrivains et académiciens actifs à un âge avancé sont nombreux. Ils sont des modèles prouvant que la notion de vieillesse s’est modifiée avec les progrès de la médecine menant à la longévité actuelle et surtout au gain de dix ans de vie non-dépendante, ce qui est le plus appréciable 3.
Et cette augmentation de la longévité est continue, puisqu’elle augmente d’un an tous les quatre ans. Les nonagénaires sont aujourd’hui un demi-million en France, soit 30 % de plus qu’il y a dix ans et ils sont nombreux à voler la vedette aux octogénaires prouvant le « success full aging » des anglo-axons, le vieillissement réussi, à en juger par leurs performances intellectuelles et cognitives. Cela n’est pas le fait de nos gènes, mais des conditions de vie et des mesures préventives qui améliorent la santé publique.
Cet exposé illustre le vieillissement et les étapes de la vie dans la peinture occidentale.
Dans le « combat avec l’ange » qu’il peint à Saint Sulpice Delacroix écrit dans son Journal que l’artiste se confronte à la solitude de l’acte créateur et à l’angoisse générée devant la toile blanche ou face au mur, dont la finalité est d’exorciser le périssable, parce que fugitif. Le rapport de l’homme au temps est pathétique par la vaine résistance qu’il lui oppose. La réponse d’André Malraux à l’appel de l’Unesco en 1960 pour sauver les monuments de Haute-Egypte résonne encore de cette finalité de l’art: «..Car il n’est qu’un acte sur lequel ne prévale ni la négligence des constellations, ni le murmure éternel des fleuves, c’est l’acte par lequel l’homme arrache quelque chose à la mort. »
Le cerveau humain, singulièrement amplifié par rapport à celui de l’animal, est une machine à gagner du temps, à anticiper l’action et ses conséquences , selon A. Berthoz 1 ; il nous a fait accéder à la notion du temps, de la durée, du futur et de la finitude qui sous-tend l’au-delà et la transcendance. Notre confrère le neurologue Jean Cambier, qui a longtemps étudié les processus de la mémoire, dans son récent livre sur la neuro-psychologie du temps fait remarquer avec pertinence : «  Quel que soit le statut du Temps, l’idée que nous nous en formons est liée à la conscience du changement de nous-mêmes et du monde qui nous entoure.» Les Grecs, dans leur mythologie fondatrice, en avaient conscience, leur dieu Chronos étant le maître du temps et de la destinée. Ils l’énonçaient dans: « Panta en chrono kineitai », tout se meut dans le temps. Le sculpteur germanique Ignaz Günther (1725-1775) représente Chronos aux ailes semblables aux aiguilles des pendules, tenant d’une main le sablier de la marche du temps, et de l’autre la faux de la mort.
Le temps ne peut être abordé sans faire référence au livre de Marcel Proust qui pensait le titrer Les intermittences du cœur avant de privilégier les intermittences de la mémoire involontaire, véritable fil conducteur de La Recherche du temps perdu et retrouvé.
Le peintre devant le motif est un témoin du temps qui passe, comme Monet peignant la cathédrale de Rouen ou les meules de foin. En inaugurant des « séries », le peintre est confronté à l’écoulement du temps, à la lumière changeante et à ces instants fugitifs qu’il tente de fixer, dans une vaine quête de l’éternité. Arrêter le temps.. Le plus pénible n’est pas tant de se voir vieillir soi-même, que de constater l’effet du temps sur ses propres enfants.
Dans leur acte de création conjuratoire, ces éveilleurs de conscience que sont les artistes, nous restituent leur vision intérieure et personnelle de l’univers en nous apprenant à voir et à ressentir autrement : « Je veux dévoiler au spectateur quelque chose qu’il ne peut découvrir sans moi » dira Picasso.
Parmi les thèmes picturaux majeurs, celui des «Ages de la vie » s’impose dès la Renaissance. A Venise, Giorgione ouvre le Cinquecento avec seulement vingt tableaux, tous imprégnés de mystère. Il en consacre trois au vieillissement. La vecchia de l’Accademia de Venise peinte en 1508 est le crépuscule de la femme, une allégorie du temps qui passe, comme l’indique le cartouche « avec le temps ».  Qui n’a fredonné le lamento de Jacques Brel « avec le temps, va, tout s’en va… » En 1509, il peint les trois philosophes, tableau conservé au Kunsthistorisches museum de Vienne, où Aristote représente la vieillesse, Averroès au turban oriental est l’âge mûr et le jeune homme la nature. Les trois âges de l’homme du Palais Pitti à Florence est de 1510, l’année où Giorgione meurt de la peste à 33 ans.
Hans Baldung, dit Grien (1484-1545), peintre-graveur, élève de Dürer, s’est fixé un temps à Strasbourg. Dans les «  âges de la vie » de 1510 conservé au Prado, quatre figures représentent les trois âges. Ces chiffres sont chargés de symbolisme,  quatre se référant aux points cardinaux de la Terre, aux éléments et aux saisons, trois signifiant la Sainte Trinité. L’enfant représente l’innocence, le jeune homme la jeunesse. Quant à la jeune femme personnage central du tableau, figurant la beauté et de l’amour, elle se contemple dans le miroir sans se préoccuper de son avenir, où derrière elle la représentation métaphorique de la mort brandit le sablier pour marquer la marche inexorable du temps. C’est une méditation sur le sens de la vie, où les préoccupations eschatologiques héritées de la religiosité médiévale ne sont pas absentes, ainsi que dans les « Sept étapes de la vie d’une femme » du même peintre, œuvre datée de 1544 et conservée au musée de Leipzig.
Les peintres français du XVIIème siècle, à leur tour, reprendront ce thème. Ils appartiennent au mouvement classique et naturaliste qui privilégie réalisme et simplicité des formes dans une spiritualité proche du jansénisme, à l’opposé de l’emphase du baroque, mais usant volontiers du contraste clair-obscur caravagesque culminant chez George de la Tour.
Les trois frères Le Nain, natifs de Laon, aux alentours de 1600, illustrent en 1640 les âges de la vie dans « La naissance de la Vierge ». Ce grand tableau de 220/145 cm destiné à N.D. de Paris est inspiré du protoévangile de Jacques. Ce texte apocryphe, bien que non canonique, est à l’origine de l’iconographie mariale, tant catholique qu’orthodoxe, car il est le seul à préciser que les parents de Marie étaient très âgés à sa naissance. Joachim représente donc ici la vieillesse, tandis qu’Anne est couchée en haut et à droite de la scène. Au milieu, une nourrice rayonnante de jeunesse donne le sein à l’enfant nouveau-née ; la lumière divine éclaire l’ange qui désigne le ciel avec l’index. La famille heureuse ou le retour du baptême du Louvre est un tableau de genre où trois générations entourent le nouveau-né.
Cette fratrie de peintres a multiplié les scènes de genre regroupant quatre générations d’une famille paysanne. Le tableau de Mathieu Le Nain acquis par le musée de Laon, et intitulé « Le concert », est consacré aux âges de la vie, de caractère profane, comme celui de son contemporain Valentin de Boulogne (1591-1625) intitulé « Les quatre âges de la vie », conservé à la National Gallery de Londres. L’intérêt qui apparaît pour le jeune enfant est nouveau, comme cela est le cas dans la peinture hollandaise.
Gustav Klimt en 1905 peindra Les trois âges de la femme et en 1913 il reviendra sur le thème de la Mort et la Vie dans une grande toile de 178 / 198 cm.
Les plus anciens portraits connus sont ceux du Fayoum, visibles au Caire, dans les musées européens et au Getty museum. Peints du vivant sur bois ou sur lin et en ultime évolution des sarcophages pharaoniques, ils avaient, pendant la période grecque et romaine de l’Egypte ancienne, le but funéraire de rappeler la vie dans l’au-delà. Toutefois, sur le millier de portraits qui nous sont parvenus, il n’y a pas de vieillards, tant la vie était courte à cette époque.
Au Palais des Beaux-Arts de Lille, on peut voir le tableau de Goya qui n’est pas une commande, car il l’a réalisé pour lui-même, « Les vieilles » appelé aussi « Le temps », antithèse de celui des « Jeunes ». Caricature grinçante, dans la veine des Caprices, où Goya critique les travers de la société. Trois têtes vues en contre-plongée forment un triangle. Les deux femmes décharnées ressemblent plutôt à des squelettes déguisés. On a cru voir dans celle de droite la reine Maria-Louisa habillée en coquette en dépit de son âge. La servante lui montre un miroir au dos duquel est écrit « Que tal », autrement dit comment ça va. Le vieil homme figurant la mort est muni non de la faux, mais d’un balai pour signifier qu’elles seront balayées comme de la poussière . La liberté du trait est étonnante : on sait que Goya utilisait volontiers la spatule et ses doigts. Quel humour noir dans cette Vanité, allégorie du temps faisant écho aux Petites vieilles de Charles Baudelaire :
Ces monstres disloqués qui furent jadis des femmes
Honteuses d’exister, ombres ratatinées,
Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs ;
Et nul ne vous salue, étranges destinées !
La peinture abonde de telles images donnant des deux sexes une image négative de l’âge, dans un but d’abord religieux ou de simple morale philosophique, par attrait aussi pour une certaine laideur. En témoignent à nouveau le tableau de Goya et visible au Prado où les deux vieux mangeant leur soupe anticipent le spectacle de nos maisons de retraite. La duchesse dite laide ou grotesque du flamand Quentin Metsys peinte en 1515 exposée à la National Gallery de Londres, plutôt qu’un vieillissement normal de la peau, pourrait être attribuée à une cutis laxa qui la flétrit précocement. Les vieux amants d’Otto Dix (1891-1969) donnent aussi une image de l’âge qui ne contredit pas la vision pessimiste de ce peintre marqué par les horreurs de la guerre, comme l’avait été précédemment Goya.
Il peut être plus intéressant d’insister sur le genre « autoportrait » inauguré par Albrecht Durer. Cet immense peintre-graveur dessinateur de la Renaissance allemande a également beaucoup écrit dont un Traité des proportions. Il a réalisé de nombreux portraits dont ceux de l’empereur Maximilien, de ses parents.
Le portrait de sa mère, seulement âgée de 62 ans, et morte deux ans plus tard, la montre vieillie prématurément, car écrit son fils dans les Chroniques familiales, elle avait porté et élevé 18 enfants  et avait eu de graves maladies. Lui-même se dessine en 1484 à treize ans encore dans l’enfance, puis il peint en 1493 à 22 ans son autoportrait au chardon (Louvre ), en 1498 celui du Prado et en 1500 à 29 ans celui de l’alte Pinakothek de Münich, dont on a dit qu’il y esquissait la pose du Christ bénissant, ce qui ne peut être chez lui blasphématoire en raison de sa sincère piété.
Dans ses portraits de jeunesse, il s’affirme en homme nouveau, en rupture avec le Moyen-Age. Celui de la Renaissance personnalisé aussi par le David de Michel-Ange à Florence. Si Dürer s’est peint en pleine force de l’âge, il n’hésitera pas à se dessiner nu, une première dans l’art, à un âge avancé, puis déclinant et malade, une de ses dernières mines de plomb destinée à son médecin pour lui indiquer le point abdominal dont il souffrait.
En littérature c’est la même affirmation du moi pensant avec Montaigne nous avertissant d’entrée qu’il se peint de façon naturelle, sans artifice, tout entier et plus loin dans les Essais, il ne peint pas l’être, mais le passage, qui est le propre de la condition humaine.
Nombreux sont les peintres qui ont scruté leur propre image au fil du temps et fixé le passage du temps sur la toile. A la philosophie qui sous-tend les allégories, les autoportraits soulignent le pathétique de la sénescence. En 2004, le musée du Luxembourg organisait une exposition intitulée « Moi », où un choix limité à 154 autoportraits retraçait l’aventure de la peinture au XXème siècle. Face au miroir et à la toile, l‘interrogation est toujours identique : Qui suis-je ? Celui que je crois voir ou que les autres voient ? Qu’il y ait ressemblance ou dissemblance, personne n’en fera grief à l’artiste qui se prend pour « modèle » sans chercher à tricher entre l’apparence et la vérité.
Prenons quelques exemples. Le pastel de Chardin aux besicles (musée du Louvre), est un auto-portrait signé et daté de 1771, à l’âge de 72 ans, qui peut être confronté à celui d’Edgar Degas peint en 1900 à l’âge de 66 ans. Celui de James Ensor, le peintre d’Ostende qui s’est si souvent peint déguisé, entouré des masques du commerce familial. Son tableau « les masques de la mort » exprime la dérision de son regard conjuratoire sur la fin de vie.
L’américaine Alice Neel se peint nue sans complaisance, cherchant dans son corps d’octogénaire une sorte de cartographie de l’âge. Cinq cents ans après Dürer, le peintre britannique le plus côté de son vivant, Lucian Freud (1922-2011),fils d’architecte et petit-fils de Sigmund l’inventeur de la psychanalyse, dans le cadre restreint de son atelier londonien, réalisa de nombreux autoportraits hyper-réalistes. Il attendit d’avoir 71 ans pour se montrer dans le plus « simple appareil », chaussé de godillots, et muni du couteau et de la palette pour peindre son corps nu, sans masquer l’écume des jours, les méfaits de l’âge, le corps étant pour lui matière picturale.
Tous ces auto-portraits questionnent, ce qui est le propre de l’art et démontrent la variabilité de la perception personnelle et collective vis-à-vis de l’âge. Celui-ci dépend non seulement de l’état-civil, mais des conditions de vie et de l’époque considérée. La nôtre, on le sait, fait apparaître de grandes discordances et l’on se demande parfois quand devient-on vieux ? Si bien que la longévité actuelle suscite de plus en plus de maternités et de paternités tardives.
Tous les peintres se sont confrontés à l’impitoyable épreuve du miroir, dont Cocteau disait qu’ « ils devraient réfléchir davantage avant de renvoyer les images  ».Goya s’est scruté à répétition, toutefois moins que Cézanne qui s’est représenté 35 fois, Van Gogh 40 fois, mais le record d’autoportraits tout au long de leur vie a été atteint par Rembrandt et Picasso.
Dans son remarquable ouvrage publié chez Skira en 1995, Pascal Bonafoux reproduit pas moins de 115 autoportraits de Rembrandt (1606-1669), huiles, dessins et gravures, un record absolu. L’univers pictural du peintre de la première leçon anatomique de l’histoire de l’art est peuplé de vieillards. Il a épié son propre visage comme son principal sujet, depuis sa jeunesse ambitieuse et fringante où il arborait des chapeaux fantasques, sa maturité triomphante, mais précocement endeuillée par la mort de sa chère Saskia. Le malheur et l’accablement se lisent de plus en plus dans les traits affaissés par la tristesse de l’âge jusqu’à l’œuvre ultime où il tient tête encore à la mort.
Pablo Picasso (Malaga 1881- Mougins 1973) est cet autre démiurge, du XXème siècle, qui aurait créé au moins 50.000 oeuvres dans tous les domaines des arts plastiques, dont 80 autoportraits. Chef de file des séismes artistiques de ce siècle, il oscilla entre figuration et abstraction. Ses autoportraits sont les témoins de ses recherches plastiques, tout autant que de ses préoccupations affectives du moment.
Ainsi, dans celui de 1901, il est triste, seul, méconnu et affligé par la mort violente de son ami Casamegas, monté avec lui à Paris et qui s’est suicidé. Les couleurs choisies le noir et le bleu caractérisent cette période dite bleue témoignant de la douleur et de la difficulté de la vie à cette période. Dans l’autoportrait de 1907, le but n’est pas encore de « faire ressemblant », mais d’appréhender le réel en suivant la leçon de Cézanne de chercher partout les formes géométriques qui le conduiront au cubisme initié par Georges Braque. Le peintre tient en main sa palette, comme le faisaient les maîtres anciens que Picasso connaissait bien. Avec le portrait de 1938, on s’éloigne un peu plus de la figuration dans une recomposition franchement cubiste, associant la vue de face et de profil, selon les canons de l’ancienne Egypte, le bras droit étant disproportionné.
Jusqu’à son dernier souffle Picasso ne cessa de reprendre à l’huile et au crayon son thème éroto-maniaque favori des bacchanales, du couple et de l’étreinte. Sa femme Jacqueline et le peintre vieillissant face à son modèle, c’est une obsession libidinale créatrice de toujours traduisant alors son refus du déclin.
Les quatre derniers autoportraits de juin-juillet 1972 peints en rafale, à 91 ans, fixent son regard ultime, comme halluciné devant la mort, comme il le dit à Pierre Cabanne. Un regard expressionniste, droit dans les yeux sur sa vie passée, un regard conjuratoire, mais qu’il sait vain devant la mort qui s’approche ; il meurt en effet le 8 avril 1973. Picasso avait mis en vente l’une de ses œuvres ultimes et les musées nationaux n’en avaient pas voulu. Elle fut achetée par la chaîne de télévision japonaise Fugi (Fig.1).
Il peut paraître singulier pour un pédiatre de s’intéresser à la gérontologie, mais l’histoire de l’art, comme l’existence, nous apprend que la vie connaît des étapes successives, des passages qu’il faut réussir à franchir le mieux possible, jusqu’à la retraite , terme qui n’est plus approprié, car il évoque une déroute militaire, un naufrage. Or il ne doit y avoir de retrait, tant que les forces de l’esprit permettent de lutter.
Les artistes sont confrontés au temps, à sa démesure, et par l’usage du miroir qu’ils en ont fait pour eux-mêmes et en invoquant de nombreuses allégories, ils ont figuré cette obscénité du temps qui flétrit, ride et parvient à déglinguer les plus belles et robustes anatomies.
L’ultime icône de cette série sur le temps est l’échographie à cinq mois de vie intra-utérine, d’une de mes petites filles, qui a failli naître prématurissime. Grâce au rapatriement en urgence en avion depuis Brazzaville et à l’inhibiteur du récepteur de l’ocytocine, elle a pu achever son développement jusqu’au terme normal et depuis elle nous étonne par sa précocité. Je montre cette image parce qu’elle est troublante ; à 5 mois de vie foetale elle pose sa main sur la tête comme un vieux savant ou un philosophe qui réfléchit sur la destinée et le futur lointain ; c’est retrouver Einstein et son espace-temps pour qui les durées sont relatives, donc illusoires. Georges Braque disait aussi que le présent est perpétuel.
Si l’on considère les temps géologiques, c’est en millions d’années qu’ils sont évalués, une autre mesure que celle des êtres vivants. À l’instar du monde vivant, la matière inanimée, comme celle qui constitue les montagnes, connaît une formation suivie d’une dégradation qui porte le nom d’érosion.
Ainsi, dans la nature, animée et inanimée, tout est voué au déclin et pour combattre le pessimisme de ce constat, la précipitation actuelle n’est pas le meilleur remède à l’angoisse existentielle.
« La vie est brève, l’art est long et l’expérience trompeuse » se plaignait déjà Hippocrate. Pour la rendre meilleure suivons les conseils de Montaigne « C’est une absolue perfection, et comme divine, de savoir  jouir pleinement de son être » en donnant sa pleine mesure à l’instant présent, le « carpe diem » des Anciens, car bien vivre aide à bien vieillir. Et l’auteur des Ess ais, qui voyageait beaucoup et à cheval recommandait les voyages, si prisés actuellement par le troisième âge, car, écrit-il « c’est une continuelle exercitation à remarquer des choses inconnues et nouvelles. Je ne sache point meilleure école à façonner la vie que de lui proposer incessamment la diversité de tant d’autres vies, fantaisies et usages et lui faire goûter une si perpétuelle variété de formes de notre nature. Le corps n’y est ni oisif ni travaillé et cette modérée agitation le met en haleine. Je me tiens à cheval sans démonter, tout coliqueux que je suis, et sans m’y ennuyer huit à dix heures. »
Pour finir avec humour ce sévère sujet, remontons à Sénèque pour qui « chaque plaisir gardant le meilleur pour la fin, l’époque de la vie la plus délicieuse, c’est lorsqu’on a entamé la descente, mais sans dégringoler pour autant » auquel répondra François Mauriac : « ce n’est pas parce qu’on a un pied dans la tombe, qu’il faut se laisser marcher sur l’autre. »
Résumé en français
L’hominisation, par l’amplification du cerveau qui l’a accompagnée, nous a fait accéder au temps et à sa durée, donc à la finitude et à la transcendance. L’art, depuis Lascaux, a pour fonction de l’arrêter dans une vaine quête de l’immortalité.
A la Renaissance en Italie avec trois tableaux de Giorgione et en Allemagne avec Baldung Grien et Dürer les « âges de la vie » deviennent un des grands thèmes de l’histoire de l’art. Au XVIIème français les frères Le Nain ont fait des séries de scènes de genre en représentant des familles de paysans.
En se regardant dans un miroir le peintre dispose du modèle le plus apte à lui faire mesurer la marche inexorable du temps. Dans ce genre, Rembrandt et Picasso ont atteint des records absolus, chacune de leurs œuvres invitant à la réflexion esthétique et /ou philosophique.