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Le mobilier du château de La Brède par Philippe Maffre – séance du 14 septembre 2020

Il serait présomptueux de vouloir présenter en une heure un ensemble mobilier composé de peintures, dessins, gravures et sculptures, meubles et objets divers qui se comptent en centaines. La plupart ont été protégés au titre des monuments historiques entre les années 2006 et 2010.

Le parti a donc été choisi de présenter un florilège de tous ces objets en privilégiant les plus « spectaculaires », certains de ceux qui sont directement liés par l’iconographie à Montesquieu et au château de La Brède, certains aussi de ceux qui ne sont pas visibles lorsque l’on suit la visite classique de l’édifice. Enfin cette petite présentation se terminera par des questions sur des pièces de mobilier un peu mystérieuses auxquelles les membres présents de la compagnie sauront sans nul doute apporter un éclaircissement.

Meubles et tapisseries
Le plus connu des meubles de La Brède après le lit du philosophe et sa table réputée être celle sur laquelle il travaillait, « décorée » de tâches d’encre, est dans le grand salon du rez-de-chaussée un cabinet en armoire en bois peint et doré qui pourrait dater du XVIIe siècle ou du début du XVIIIe siècle, il est élevé d’un peu plus de deux mètres et large d’un mètre soixante, sa profondeur étant un peu supérieure à cinquante centimètres. Entre sa base et son couronnement tous deux moulurés s’ouvrent quatre panneaux à peu près carrés ornés de scènes antiques, les architectures font plutôt référence à Rome. Ce meuble est très restauré.
Dans la même pièce se trouve un cabinet haut de cinquante et un centimètres large de soixante deux et profond de soixante reposant sur un piétement à pieds et traverses en bois tournés. Il pourrait lui aussi dater de la fin du XVIIe siècle ou du début du XVIIIe siècle.L’essentiel du décor consiste en deux portes ornées de figures de lansquenets en marqueterie polychrome qui évoquent bien sûr les gravures de Jacques Callot mais tout aussi bien celles du Florentin Antonio Tempesta qui ont été répandues dans toute l’Europe. On trouve de semblables décors sur du mobilier aussi bien en France que dans les régions rhénanes et en Italie.
Dans l’antichambre de ce salon sont conservés trois meubles anglais du début du XVIIIe siècle, en chêne, deux fauteuils et un lit de repos, les trois cannés. Le Musée des arts décoratifs de Bordeaux conserve des meubles assez semblables, ce modèle a été produit depuis la Renaissance jusqu’au XIXe siècle, ces objets ont-ils quelque rapport avec l’anglophilie réputée de Montesquieu, aurait-il pu les ramener d’Angleterre ? Rien ne permet de l’affirmer non plus que le nier. Les dimensions imposantes de ces pièces sont pour les fauteuils une hauteur de un mètre trente, une largeur et profondeur d’environ un demi-mètre le lit de repos étant long de cent-cinquante-cinq centimètres
Dans la chapelle se trouve un grand tabernacle à ailes haut de près d’un mètre cinquante et large de près de deux mètres, en bois doré à décor des quatre évangélistes. Cet objet du XVIIe ou XVIIIe siècle pourrait provenir de l‘église paroissiale de Saint-Jean d’Etampes reconstruite au milieu du XIXe siècle. L’actuelle chapelle de La Brède n’étant pas antérieure à cette date.

Autrefois relégué dans l’antichambre de la chambre du chapelain est aujourd’hui présenté dans le grand salon du rez-de-chaussée un cabinet en marqueterie et bronze du XVIIIe siècle, haut de deux mètres cinq, large d’un mètre six et profond de quarante-cinq centimètres. Ce meuble provenant de l’Océan indien, présentoir à porcelaine ou argenterie, qui pourrait être portugais ou anglais se caractérise par l’élégance de ses pieds terminés par des pieds humains chaussés de souliers à boucle. Il est à rapprocher d’un cabinet à porcelaines provenant de Pondichéry, meuble présenté à Bordeaux lors de l’exposition La route des Indesorganisée en 1998-1999 par les musées des Arts décoratifs et d’Aquitaine.

A l’étage du château, jouxtant la bibliothèque se trouve le salon dit aux tapisseries que l’on aperçoit lors de la visite « officielle » mais dans lequel il n’est possible de rentrer que très partiellement. Il s’y trouve un beau secrétaire à cylindre-bibliothèque en acajou, citronnier et bronze doré de la première moitié 19e siècle haut d’environ un mètre quatre-vingts et profond de cinquante-deux centimètres.

Dans l’un des greniers du château, qu’elles ont dû aujourd’hui déserter, se trouvaient les armoires-bibliothèques de grandes dimensions, utilisées par Montesquieu qui n’a jamais connu la bibliothèque de La Brède telle qu’on la visitait jusqu’il y a encore peu de temps.
Il s’agit de meubles plutôt rustiques ouvrant à deux battants dont la partie supérieure est fermée par des verrières à carreaux en losange. Ces meubles devraient être réinstallés dans la bibliothèque dont ce qui reste des fresques à peu près médiévales a été dégagé récemment.

Dans l’une des chambres jouxtant la bibliothèque et la chapelle est visible sur une console une pendule à caisse en ébène ou bois noirci, à mouvement et cadre en acier, laiton et argent, signée au-dessus du cadran : Alex : Giroust / Coventry Street / LONDON . Ce petit ouvrage haut de quarante-cinq centimètres date de la première moitié du XVIIe siècle. Alexander Giroust est un horloger anglais d’origine française connu sous le règne de Georges II, ayant travaillé de 1728 à 1739. Tout un chacun se rappelle que Montesquieu a séjourné en Angleterre de 1729 à 1731. Il a donc pu lui-même a pu acquérir cet objet en Angleterre…

Cachées et hors de la vue du visiteur ordinaire de La Brède, pour des raisons qui ont sans doute à voir avec la morale du temps, deux compositions ornithologiques du XIXe siècle dans des vitrines octogonales hautes d’une quarantaine de centimètres de bois, verre et éléments organiques réunissent des oiseaux empaillés et colorés, « bricolés » de manière à évoquer des volatiles exotiques.

Iconographie de Montesquieu et La Brède
Le portrait, dessin à la mine de plomb sur papier au crayon rehaussé de craie « peint par Le Moine, sculpteur du Roi » qui se trouve dans le grand salon du rez-de-chaussée a été et reste l’objet d’une polémique. De cette représentation de l’illustre président, large de soixante-dix centimètres et haute de soixante, Bouvy le premier iconographe de Montesquieu ne pensait pas qu’il s’agissait d’un dessin de Jean-Baptiste Lemoyne, Mesuret en était pour sa part persuadé. L’affaire n’est pas anodine dans la mesure où toute l’iconographie liée à Montesquieu découle de ce dessin.

Charles-Louis Secondat de Montesquieu directeur en l’année 1718. Cette peinture sur toile du XVIIIe siècle, haute de quatre-vingt-dix centimètres et large de soixante-douze est une copie ancienne du portrait dit de l’Académie, conservé dans les collections de l’Académie des lettres, sciences et arts de Bordeaux. Maurice Meauldre de Lapouyade le tenait pour une œuvre de Leblond de La Tour, Mesuret l’attribuait pour sa part à Jean Lapenne un peintre toulousain.

Les bustes représentant Montesquieu à l’antique, tous tirages en plâtre ou copies en pierre du buste de Lemoyne sont assez nombreux dans le château. Il en existe de toutes les dimensions de la cave au grenier, peu en bon état.

Les portraits de profil inspirés de la médaille de Lemoyne elle-même inspirée de celle de Dassier sont dans le même cas de figure que les bustes antiquisants, on citera pour mémoire un relief en bois doré du XVIIIe siècle haut de soixante-dix centimètres ou encore un petit médaillon circulaire de sept centimètres de diamètre, en calcaire, fabriqué par l’atelier Percepied à Lévince près de Nice où les objets étaient trempés dans une fontaine pétrifiante.

Vue du château de La Brède. Peinture sur toile du milieu du XIXe siècle, cette représentation d’environ quatre-vingt-dix sur soixante-dix centimètres d’une facture naïve reprend le thème de « Montesquieu et ses paysans ».

Un autre portrait du château de la Brède est un dessin à l’aquarelle et gouache sur papier. Ce dessin de trente-huit centimètres sur cinquante-cinq, pourrait être de Stanislas Gorin un familier des Montesquieu, il semble contemporain d’un projet de l’architecte Charles Durand conservé dans les archives de La Brède.

Aujourd’hui exposé dans le grand salon du rez-de-chaussée un beau dessin sur papier à l’encre et au lavis représente Montesquieu et des paysans devant le château de La Brède. Il est dû à Antoine Gonzalès, peintre néo-bordelais né en 1741 à Polinyà de Xúquer et mort à Bordeaux en 1801. Ce dessin est enfin associé dans la nouvelle présentation à son pendant que l’on a descendu du grenier de la tour d’escalier et qui représente Montaigne devant le château de La Tour. Ces deux œuvres sont datées de 1786, elles mesurent cinquante-et-un centimètres sur soixante-dix-sept.

Le tableau de la Vierge à l’Enfant avec des anges qui se trouvait au-dessus de la porte de la chapelle a été identifié il ya quelques années par Xavier Salmon comme étant une copie ou version d’une œuvre de Laurent de La Hyre. La peinture semble avoir été exposée à la chaleur d’un incendie et présente d’importants écaillements dans sa partie inférieure droite. Il existe un dessin au Louvre et une version en bon état au Musée de Caen. Il mesure quatre vingt dix centimètres sur un mètre quinze.

Dans le salon aux tapisseries est présente une paire de très grandes gravures de Jean- Baptiste Piranèse représentant les colonnes Trajane et Antonine, elles datent d’environ 1775 sont entoilées et mesurent deux mètres soixante-dix sur soixante quinze centimètres de large.

Dans ce même salon sont suspendues aux murs trois tapisseries du XVIIe siècle décrites dans l’inventaire contemporain du château comme formant une suite nomméeL’histoire antique, deux d’entre elles aux bordures semblables paraissent représenter des épisodes de l’Odyssée.

Portraits et dessins
Portrait de Godefroy de Secondat écuyer bienfaiteur des pauvres décédé le 6 mars 1774. Ce portrait non daté se trouve dans la chambre dite du Président, il figure le cousin et mari de la fille de Montesquieu. La qualité de la peinture est assez modeste elle mesure soixante cinq centimètres sur quarante-cinq mais s’inscrit dans un cadre en bois sculpté et doré d’une qualité exceptionnelle.

Dans l’une des deux chambres jouxtant la bibliothèque est accroché un Portrait d‘homme en buste en costume d‘officier. Datant visiblement de la fin du XVIIIe siècle, ce petit tableau de quarante centimètres sur trente deux porte au revers une
inscription manuscrite collée sur le cadre : “Ce portrait est celui du vicomte de Menou frère de ma mère”. La mère de Prosper de Montesquieu, auteur de toutes les explications qui figurent au revers de nombreux tableaux du château était née Jacqueline Henriette de Menou.

Le portrait de Mensencal est un petit dessin à la mine de plomb sur papier conservé dans la chambre même de Montesquieu, il est signé d’Emilie de Montesquieu. Au dos est une inscription : Mensencal (Marennes), domestique du président de Montesquieu. Ce modeste dessin est placé dans un beau cadre carré de trente centimètres de côté.

Sur l’un des murs de l’antichambre du grand salon sont accrochés deux bas-reliefs à cadre de forme ovale, en stuc polychrome, représentant les profils d’ Henri IV et Sully, hauts de soixante centimètres et larges de cinquante. Le culte de l’association de ces deux personnages est apparu dès le XVIIIe siècle. Le numéro 36 du catalogue de l’exposition tenue récemment à Versailles puis au château de Cadillac Henri IV. Un roi dans l’histoirecorrespondait à de semblables médaillons mais de petites dimensions et en ivoire.

Dans la même pièce on peut voir un dessin dont l’iconographie est très lié à la paroisse puis à la commune de La Brède, il s’agit du Couronnement de la Rosière, dessin de la fin du XVIIIe siècle à la gouache sur papier, large de soixante centimètres et haut de quarante-cinq.

A côté de la Rosière, l’association est osée, se trouve un dessin de l’Epoque révolutionnaire Jean Ramponau. Le cabaret à la mode, dessin à la gouache et aquarelle sur papier de soixante centimètres sur quarante-cinq. Ramponneau (1724-1802) aussi orthographié Ramponeau ou Ramponaux était un cabaretier célèbre à cette époque, originaire de la Vienne.

Dans une des chambres donnant sur la cour un Paysage landais avec un berger sur des échasses, nous fait retrouver Stanislas Gorin, il s’agit d’une aquarelle sur papier, de soixante centimètres sur cinquante. Stanislas Gorin est né en 1824 à Argent-sur-Sauldre dans le Cher et mort en 1874 à La Brède. Professeur de dessin, il fut le premier maître d’Odilon Redon, impécunieux il était protégé par les Montesquieu. Il a peint des chasses à courre, des portraits du château pour le baron de Montesquieu, mais aussi, l’a-t-il accompagné dans un voyage ? des vues de Cadix en Espagne ainsi une Fête à Cadix ou des Bateaux devant le port de Cadix. Aquarelles datées de 1869 mesurant respectivement un mètre et dix-sept centimètres et quatre- vingt-huit centimètres sur soixante-treize.

Dans l’escalier des appartements privés du château on rencontre outre la série des gravures des Ports de France de Vernet de charmants dessins comme des « rovine », paysages avec des ruines antiques, en pendant à la gouache, dans la lignée des ruines d’Hubert Robert, certainement du XVIIIe siècle et mesurant quarante-trois centimètres sur trente-cinq. A côté une scène de foire dans un village intitulée L’incomparable et l’unique géant, dessin à la gouache sur papier signée Château et daté de 1807, de trente centimètres sur vingt-cinq, le paysage évoque un piémont, peut-être pyrénéen.

Une miniature sur parchemin du XVIe siècle ou sa copie, conservée dans ce qui était la chambre de Madame de Chabannes, quand vivait, représente Marguerite de La Pole- Suffolk. Visiblement à l’origine son cadre était ovale, elle a été remontée dans un cadre rectangulaire de vingt-deux centimètres sur vingt-quatre. Cette personne ne doit pas être confondue avec sa parente et homonyme épouse de Jean de Foix Candale. Cette Marguerite de La Pole épousa un seigneur de Brénnieu en Dauphiné et sa fille se maria avec Jean II de Secondat, d’où la présence du portrait de cet exotique personnage à La Brède.

Exhumé récemment dans le bureau qui se trouve à côté de la cuisine au rez-de- chaussée de La Brède un grand cadre dédié par Stanislas Gorin au baron Charles de Montesquieu regroupe plusieurs aquarelles datées de 1864, une vue du château et plusieurs propriétés en dépendant, on reconnait outre une vue du village de La Brède, une ferme, le chalet des Pins et Rochemorin à Martillac.

Devinettes
Quatre objets ont été soumis à la perspicacité des membres de l’auditoire. Un buste à l’antique représentant un personnage romain de la période républicaine, de l’époque néo- classique, du XVIIIe ou XIX siècle, haut de quarante-quatre centimètres ; Un buste en terre cuite sur un socle de bois noirci, qui pourrait dater de la fin du XVIIIe siècle, haut de soixante centimètres.Un beau portrait de soixante-deux centimètres sur soixante-douze, de la fin du XVIIIe ou début du XVIIIe siècle, cet homme pourrait être un peintre ou un architecte, il tient un porte-mine de sa main droite levée. Aucun de ces portraits n’a pu être identifié. Enfin un dessin à la mine de plomb sur papier, de trente-deux centimètres sur quarante, intitulé Le duc de Bordeaux présenté à Louis XVIII, attribué à Jean Duplessi-Bertaux, pose deux problèmes : il est très clairement établi que Jean Duplessi-Bertaux est mort le 29 septembre 1818 et tout aussi clairement que le duc de Bordeaux est né deux ans plus tard jour pour jour le 29 septembre 1820. Quant la scène représentée on y remarque la quasi sveltesse du Roi qui en 1820 était déjà très corpulent. Qui est donc l’auteur de ce dessin et quelle est la scène représentée ?

Illustrations sur demande à